Vartavar : une fête qui va au delà des jeux d'eau d'été

Par Gayané Mkertchyan, reporter à ArmeniaNow (01 juillet 2005)

Traduction Louise Kiffer

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L'artiste peintre Lusik Aguletsi décore avec vivacité la table de fête. A l'un des bouts, elle a posé une poupée Nuri faite de plantes séchées égayées de petites grenades. A côté se trouve un khatchbur et un kskrank (sortes de poupées qui ressemblent à de petits arbres) tressés avec du blé.

Mais la principale décoration de la table de fête est l'arbre "khntoum dogk", qui signifie "apporteur de joie". Il reste encore quelques jours avant la célébration de Vartavar, mais l'artiste a embelli sa maison, exactement comme le faisaient les Arméniens il y a des centaines d'années.

L'arbre "Khntoum Dogk" a été décoré ainsi en particulier par mes grands-parents d'Agulis, entre Meghri et Nakhitchévan. "Toutes les femmes arméniennes faisaient ces préparatifs ce jour-là. Ils symbolisaient le succès, la fertilité, l'abondance et la protection contre le mal", explique Lusik.

     

Le "Khntoum Dogk" est fait de baguettes en forme de croix attachées les unes aux autres et décorées avec différents fruits: des pommes, des abricots, des cerises et des concombres, qui symbolisent la vie éternelle. La croix est fixée sur un plat dans lequel du blé a été déjà repiqué, et les bords du plat sont décorés de boutons de roses ouverts et aromatiques.

Lusik dit que lorsque les gens parlent du Vartavar, ils évoquent l'action de s'arroser les uns les autres, mais cette grande fête a des racines plus profondes et est pleine de traditions que beaucoup ont oubliées. Se jeter de l'eau les uns sur les autres n'est que l'un des 20 jeux auxquels on se livre en Arménie ce jour-là dans différentes régions.

"La question est la façon dont chaque Arménienne peut observer le rituel dans sa maison. Tout le rituel doit être présenté aux gens correctement, de sorte qu'ils le comprennent. Nous avons des rituels surprenants qui nous ont été transmis depuis des millénaires, et aujourd'hui nous devons les passer aux générations futures", dit-elle.

Vartavar a été célébré dans différentes parties de l'Arménie le premier dimanche après le 22 juillet, et dans d'autres régions 98 jours après Pâques. Cette année, il a été célébré le 3 juillet. Il est considéré comme une fête pré-chrétienne que Grégoire l'Illuminateur a transformée en célébration pour la Transfiguration de Jésus-Christ.

Les Arméniens païens célébraient ce festival en honneur de la déesse Astrig, en lui offrant des fleurs, spécialement des roses. Le festival avait lieu principalement dans les montagnes, près des sources et des lacs qui étaient considérés comme des lieux particulièrement saints. Les offrandes honoraient les esprits de l'eau et les suppliaient de leur fournir de la pluie pour les moissons et de leur éviter la sécheresse.

 

"Le jour du Vartavar, tout le village se réunissait, décorait un boeuf selon des pratiques cérémonielles spéciales, et ensuite ils l'emmenaient à l'église comme offrande. Les femmes et les jeunes filles mettaient leurs plus belles robes, se mettaient des couronnes sur la tête, et portaient leurs khatchburs et leurs kskranks à l'église pour être bénis, de même que leurs enfants. On jouait du dhol et du zourna - instruments de musique nationaux - pour annoncer la fête du Vartavar" dit Lusik.

Après la cérémonie à l'église, les khatchburs et les kskranks étaient suspendus aux murs des maisons et dans les granges pour apporter l'abondance et la fertilité. Les villageois ornaient les fronts du bétail de décorations bénies en bois "daghdghans" pour les mettre à l'abri du mauvais oeil. On offrait à l'église des épis de blé afin que les champs et les vergers soient préservés des désastres, en particulier de la grêle. Les maisons étaient décorées de brindilles et on lâchait des colombes.

     

"Nous avions de très beaux jeux très intéressants. Les petits jouaient au jeu de Kaïk et Bel, les jeunes filles et les jeunes gens jouaient à se déguiser. Un garçon s'habillait en fille et s'arrangeait pour entrer dans le groupe des filles, pour être plus près de sa bien-aimée. Les gens se présentaient les uns aux autres leurs différents types d'arbres faits de blé, et en échange ils recevaient
de l'huile, du beurre, de la farine et des oeufs"
, dit l'artiste.

Les femmes d'Agulis jouaient à un jeu particulièrement intéressant, le jeu de "Tchitchi Mama". Tchichi Mama était une femme tout habillée de blanc, et les autres femmes, avec des plats de cuivre et des louches comme instruments , l'appelaient: "Tchitchi Mama, Tchitchi Mama, que désirez-vous ?" Tchitchi Mama désirait de l'huile et des oeufs, Tchitchi Mama aimerait bien qu'il pleuve, et on l'arrosait avec de l'eau. Tchitchi Mama devait rester silencieuse, c'est-à-dire être une femme tolérante. Ensuite elles se réunissaient et faisaient cuire des gâteaux pour la fête.

On connaissait aussi le jeu de la boue. On faisait de grosses balles avec de la boue et on les jetait très fort par terre. Le gagnant était celui qui avait fait le plus grand bruit. Des jeux d'eau, qui sont les plus enracinés dans l'imagination populaire d'aujourd'hui, s'ajoutaient à tout cela, et de beaux feux s'allumaient dans les villages durant la soirée.

Lusik dit: " Chaque famille préparait une pile d'herbes sèches dans sa cour et la surveillait toute la journée pour empêcher quelqu'un d'autre de la brûler. Puis un garçon de la maison mettait le feu à la pile et la famille y faisait cuire des pommes pour les manger. C'était le symbole que les fruits étaient mûrs."

Presque toutes les régions d'Arménie fêtaient le Vartavar avec des offrandes. A Agulis, on tuait le mouton et on le suspendait au-dessus d'un foyer, avec du pilaf placé au-dessous. La graisse de la bête tombait goutte à goutte sur le pilaf toute la nuit, pour un plat qui s'appelait "kashovi". Le gâteau était préparé ce jour-là, et les fruits et les fleurs étaient en abondance.

"Beaucoup de personnes ne savent pas aujourd'hui que les gens jeûnaient pendant 40 jours avant le Vartavar, afin de pouvoir demander à Dieu ce jour-là que leurs buts soient atteints", dit Lusik. "C'est la première signification de cette célébration. Je suis sûre que s'ils savaient cela, les gens jeûneraient pour recevoir les faveurs de Dieu".

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Source : http://armenianow.com/arm/?go=pub&id=1064

Voir aussi, au sujet de la déesse Astrig : http://www.routard.com/comm_forum_message/182454.htm