Miniature arménienne

 

L'art de la miniature occupe une place considérable dans l'histoire de la culture arménienne du Moyen-Age.

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Le peuple arménien sut résister aux conquérants les plus puissants, rester fidèle aux fondements de sa culture et la développer toujours davantage. La terre arménienne possède un riche héritage artistique Celui-ci comporte des monuments qui ont parfois conservé des bas-reliefs et des fresques, et dont le nombre et la variété témoignent du haut niveau technique de l'architecture. Le patrimoine culturel de l'Arménie comprend également des "khatchkars" étonnantes stèles de pierre sculptées avec une finesse extrême, ainsi que des objets d'art de toutes sortes.

De nombreux monuments de la culture arménienne ont été détruits. Mais si les fresques ont péri à cause des guerres et sous l'effet de force destructrices, les manuscrits, plus faciles à cacher, se sont mieux conservés et nous sont parvenus en plus grand nombre. La collection du Maténadaran d'Erévan comporte à elle seule plus de 16 000 manuscrits et fragments de manuscrits. (La plus vaste collection au monde de manuscrits anciens). Les bibliothèques, les réserves de livres et les musées de nombreux pays en possèdent aussi une quantité non négligeable.

     

On dénombrait sur le territoire de l'Arménie près de 1500 centres d'écriture et d'enluminure. Les foyers artistiques les plus importants se situaient, selon les époques dans différentes régions, parfois même hors des frontières du pays, dans les divers lieux où des Arméniens s'étaient expatriés.

Après les invasions tatares et mongoles, vers 1220-1240, certains féodaux arméniens surent conserver une indépendance relative, et la vie culturelle continua à se développer. On vit s'élever de splendides églises et palais dans la première moitié du 13ème siècle, tandis que l'activité des écoles et des scriptoria (ateliers monastiques d'écriture et d'enluminure) était en pleine expansion. Les écoles supérieures, appelées universités ou académies, acquirent une grande importance. Elles existaient déjà en Arménie avant cette époque, mais c'est à partir du 13ème siècle que les écoles rattachées aux monastères jouèrent un rôle primordial dans le maintien, la propagation et le développement de la culture nationale. L'université de Glatzor fut qualifiée à l'époque de "seconde Athènes". Elle pouvait même rivaliser avec l'Université de Paris sur le plan de la formation culturelle et la richesse de sa bibliothèque ainsi que la diversité des matières enseignées: on y enseignait la philosophie, la théologie, la rhétorique, la grammaire, la musique, la peinture et la calligraphie.

La perte par l'Arménie de son indépendance nationale fut en quelque sorte compensée par l'essor du royaume arménien de Cilicie qui s'affirmait sur la côte nord-est de la Méditerranée. La culture et l'art purent s'y développer et s'y épanouir jusqu'au 14ème siècle, où elle succomba sous les coups des mamelouks égyptiens.

     


Croix reliquaire de Van

 

Les 13ème et 14ème siècles représentent l'apothéose de l'enluminure arménienne.

Les miniatures peintes dans les régions du nord-est, par exemple se distinguent par leur caractère monumental et l'intensité de leurs coloris; celles de l'Ecole de Vaspouragan, par leur simplicité et une tendance à la stylisation. Les enluminures de Bardzer Khaïk en Haute Arménie se reconnaissent à la gravité majestueuse des personnages et à la variété de l'ornementation; tandis que les miniatures ciliciennes font apparaître un raffinement et une virtuosité remarquables. Les différences sont particulièrement nettes entre les peintures exécutées en "Grande Arménie", c'est-à-dire sur le territoire même du pays, et en Arménie cilicienne.

Parmi les miniaturistes de talent qui ont travaillé en Grande Arménie, nous connaissons les noms de : Mkhitar Erzynkatsi, Toros Taronatsi, Avag, Grigor, Siméon Archichétsi, Vandan.

     

Les manuscrits de Bardzer Khaïk étaient toujours ornés de riches motifs végétaux, de feuilles recourbées et de volutes. Les prototypes de ces ornements se retrouvent dans l'art pré-chrétien. Ils évoluent ensuite dans le sens d'une stylisation de plus en plus prononcée. Ces manuscrits étaient parfois illustrés de dessins graphiques placés dans les marges. Ceux-ci pouvaient être des portraits de hauts dignitaires de l'Eglise ou de seigneurs, ou des figures de saints.

La production des scriptoria de l'ancien royaume d'ANI a presque entièrement disparu. Il nous reste les oeuvres de deux miniaturistes Margaré et Ignatios. Ce dernier fut témoin de l'invasion mongole et laissa l'inscription suivante: "Ce manuscrit a été écrit à l'époque douloureuse et funeste où Ani la capitale a été prise et où l'on assistait à d'innombrables destructions de villes et de pays". Ignatios lui-même tomba aux mains des ennemis, mais il réussit à se libérer et continua son oeuvre de miniaturiste.
Un ouvrage de l'époque porte en post-scriptum: "Les temps sont si durs que depuis quatre ans j'écris en appuyant mon livre sur la paume de ma main".

Dans la province de Siounik, au sud-est du Lac Sevan, s'épanouirent les deux dernières grandes académies arméniennes de Gladzor et Tatev. L'oeuvre de Mateos reflète les traditions locales. Celle de Momik reproduit la fine sculpture ajourée des Khatchkars. Momik décore parfois toute la surface du fond de demi-cercles, généralement bleuâtres qui évoquent les nuages et semblent symboliser le caractère sacré des événements représentés.

Le Vaspourakan , au nord-est et au sud du Lac de Van, fut le berceau d'une civilisation très ancienne. Au début du Moyen Age, c'était une principauté indépendante d'où près de 1500 manuscrits nous sont parvenus. Les thèmes les plus fréquents sont tirés de l'Ancien Testament. Les miniaturistes de Vaspourakan ont exercé leur maîtrise dans d'autres domaines de l'art: la taille des pierres, l'orfèvrerie, la confection des tapis. Cela leur a permis d'introduire dans leurs livres des procédés empruntés à ces différentes techniques.

Le Nakhitchévan a produit des miniatures dans lesquelles figurent en abondance des animaux, des oiseaux, des sirènes et des visages humains. Le travail est plein de fougue et de passion, de vivacité et d'adresse. L'Artsakh, Outik et le bassin du Lac Sevan, mêlent dans les manuscrits, en particulier dans la principauté de Khatchen, les traditions d'origine aristocratique et populaire. Ils font preuve d'une grande valeur artistique. Les thèmes favoris sont l'enfance du Christ, la parabole des vierges sages et des vierges folles, Adam et Eve, et la trahison de Judas. Autre particularité de ce groupe, les peintres sont les seuls à représenter un ange aux ailes déployées jouant de la flûte. Dans les miniatures d'Artsakh chaque détail est achevé jusqu'à la perfection.

L'enluminure cilicienne :
La capitale de l'Etat, Sis, s'enorgueillissait d'une citadelle imprenable et d'un magnifique palais aux murs ornés de reliefs, aux intérieurs couverts de mosaïques ou revêtus de marbres et de dorures, possédant une bibliothèque et un immense parc Il y avait aussi à Sis de nombreuses églises, des écoles, des bains et un hôpital. Les monastères connurent une expansion parallèle à celle des villes. Les scriptoria étaient en pleine activité. Les premiers Arméniens exilés en Cilicie ne rompirent pas les liens qui les unissaient à leur patrie. Mais les nouvelles conditions de vie influencèrent les principes picturaux. La première innovation est la réduction du format des manuscrits. Ce sont des livres de format relativement modeste, faciles à tenir en main. D'autre part l'ornementation devient plus riche. Ce sont les exemplaires les plus précieux, enfermés dans des reliures ouvragées, qui ont survécu, car ce sont eux que les Ciliciens ont choisi d'emporter lorsque la chute du royaume les contraignit à quitter le pays.

Les plus célèbres peintres de Cilicie sont :
Grigor Mlidjétsi, Toros Rosline, Hovannès et Sarkis Pitsak. Le miniaturiste le plus en vue était Toros Rosline qui avait travaillé à Romkla, dans le scriptorium du patriarcat. Ses miniatures jouissaient d'une grande renommée. On ne sait pratiquement rien de sa vie, comme on ignore tout de la plupart des peintres de son époque.

De Sarkis Pitsak, nous est parvenu un épisode par l'évêque de Sébaste, Stépanos, qui raconte :
"Moi, pasteur et brebis égarée, suis allé en Cilicie, pays béni de Dieu, pour adorer les reliques de saint Grégoire, et y ai reçu un accueil plein d'estime et de respect de la part du patriarche Constantin et du roi Ochine. Et le pieux roi Ochine a voulu me faire un cadeau, à moi, indigne et méprisant les biens temporels, j'ai désiré posséder un Evangile. Sur l'ordre du roi, j'ai pénétré dans les réserves du palais où étaient rassemblés les livres saints, et celui-ci m'a plu entre tous car il était écrit d'une belle écriture rapide et décoré d'images polychromes, mais il était inachevé: une partie était terminée, une autre n'était que dessinée et beaucoup d'espaces étaient restés vierges. J'ai pris le manuscrit avec une grande joie, me suis mis à la recherche d'un artiste habile et ai trouvé Sarkis, dit Pitsak, prêtre vertueux et fort compétent en matière de peinture. Et je lui ai donné 1300 drachmes, fruit de mon travail honnête, et il a accepté, avec un soin extrême, il a achevé et complété les illustrations manquantes et leur dorure, pour ma plus grande joie. Tout fut achevé en l'an 769 (1320) du calendrier arménien, en des temps amers, difficiles et épouvantables..."

Les miniaturistes Avétis, Stépanos, Khristosatour, et Mkhitar Anétsi ont travaillé dans ce qu'il est convenu d'appeler les colonies arméniennes, c'est-à-dire les différentes régions où des Arméniens s'étaient installés fuyant les guerres et les invasions qui frappèrent si souvent leur pays. Des colonies arméniennes s'établirent ainsi en Grèce, en Italie, en Iran, en Russie, en Bulgarie, en Roumanie, en Pologne, en Inde en Egypte et dans plusieurs autres pays. Les Arméniens entraient ainsi en contact avec l'art des pays où ils avaient trouvé refuge, mais ils conservaient aussi leur fidélité aux traditions nationales. Parmi les nombreuses colonies, celle de Crimée fut l'une des plus importantes. Les Arméniens créèrent en Crimée de nombreux monuments architecturaux dont plusieurs ont survécu, et créèrent des centres arméniens d'écriture et d'enluminure.

Enfin, de nombreuses miniatures sont dues à des artistes anonymes.

Après avoir connu des périodes de floraison et de déclin, la miniature arménienne médiévale tomba progressivement en décadence à partir du 14ème siècle. L'apparition de l'imprimerie a contraint l'art du manuscrit à céder sa place au graphisme, tandis que l'enluminure et la fresque furent peu à peu évincées par la peinture de chevalet.

Mais l'histoire de l'art n'oublie aucune de ses pages de gloire, et la miniature qui reflète avec bonheur la noblesse de l'idéal esthétique de Moyen Age, continue à faire partie des trésors de la culture mondiale.

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Adaptation par Louise Kiffer d'extraits de textes de E. Korkhmazian, G. Akopian et I. Drampian, d'après "La Miniature arménienne 13ème et 14ème siècle", Collection du Maténadaran Erévan - Editions d'art Aurora - Léningrad- 1984

La plus grande partie des manuscrits arméniens du Moyen Age est actuellement conservée au Maténadaran (Institut Mesrop Machtots) d'Erevan.