Enfants victimes de génocides - Le cas arménien

Pour m'écrire directement - Mon site personnel

I - Généralités

Le meurtre de masse des Arméniens organisé dans l'Empire Ottoman pendant la Première Guerre Mondiale est considéré comme le premier génocide du 20ème siècle. En outre, plusieurs spécialistes de l'Holocauste (Y. Bauer, L. Davidowicz, I.L. Horowitz, I. Charny, R. Rubenstein) par différents moyens reconnaissent que le Génocide arménien était plus qu'un simple précédent. Il devint en fait un lien conduisant à l'Holocauste juif qui s'ensuivit, à cause de l'impunité accordée aux auteurs du Génocide par le monde civilisé. Ce n'est donc pas par hasard que sur le mur de granit du Hall de l'exposition du Musée de l'Holocauste US à Washington, D.C est gravé en lettres en relief la déclaration suivante de Hitler : " Qui, après tout, parle aujourd'hui de la destruction des Arméniens ? " Le dirigeant nazi réassurait ainsi à ses officiers à la veille de la seconde guerre mondiale que ses initiatives génocidaires imminentes étaient également vouées à l'oubli.

Puisque le génocide en général dénote non seulement l'idée d'extermination, mais comporte également l'idée de l'extermination de l'ensemble d'un groupe religieux, ethnique ou national, les victimes de ce crime capital incluent les enfants. En vérité, ils sont presque toujours devenus partie intégrante de la population victime. C'est pour cette raison que le sort génocidaire des enfants n'a pas été traité séparément de celui de le totalité de la population victime. Cela se comprend au niveau opérationnel du crime de masse, où les différences d'âge, de sexe, de statut socio-économique, de religion, de race ou de nationalité tendent à se dissoudre brutalement. Elles s'effondrent dans une catégorie indifférenciée de gens destinés à une destruction imminente. Malgré cet obstacle majeur, cependant, au cours des récentes décennies, des études ont été faites en vue de discerner certains aspects ou modèles relatifs au traitement génocidaire des enfants. Cet essai fournit un aperçu à travers lequel les enfants sont perçus comme une sous-catégorie distincte d'une plus grande catégorie de la population victime totale.

L'étude du Génocide arménien permet l'identification et l'examen d'une telle sous-catégorie. Plusieurs facteurs ont joué un rôle dans ce cas, mais plus particulièrement l'idéologie du groupe auteur du crime, l'arrière plan historique du conflit turco-arménien et les instruments utilisés pour le meurtre de masse. Un bref commentaire à ce sujet s'impose donc.

Différent de plusieurs autres génocides du 20ème siècle, le Génocide arménien n'est pas un phénomène sui generis, mais plutôt le point culminant d'un processus historique. Ainsi, il a été précédé, pendant des dizaines d'années, d'une série de massacres périodiques, dont les auteurs n'ont jamais été poursuivis, ni sanctionnés par la justice. Prévoyant avec crainte la colère des grandes puissances d'Europe, les auteurs de ces massacres, en particulier ceux de 1894-1896, ont agi avec une certaine retenue, car les femmes et les enfants ont été généralement épargnés. Au lieu de devenir totalement exterminateurs, ces massacres, accompagnés d'une dévastation à grande échelle, avaient pour but de paralyser la population de l'Empire Ottoman. Le fait que vers 1915, au début du génocide de la Première Guerre Mondiale, cette même population avait recouvré ses forces et était devenue une communauté viable et organisée, a incité les dirigeants Jeunes Turcs à envisager le génocide.

Le slogan était : " Cette fois-ci nous ferons un travail complet " ! En d'autres termes, aucune catégorie d'Arméniens ne serait exemptée de destruction. L'impunité dont avaient bénéficié les auteurs des précédentes séries de massacres les avaient suffisamment encouragés à s'embarquer dans des opérations de meurtres de masse sans distinction. En conséquence, ces dirigeants décidèrent d'utiliser des " meurtriers sanguinaires " (kanli katil) comme instruments du massacre. Des milliers de criminels et de récidivistes furent sélectionnés et relâchés des différentes prisons de l'Empire Ottoman pour cette tâche de massacre. Ils ne devaient montrer aucune compassion ni pitié aux femmes, aux enfants et aux infirmes. La variété de méthodes féroces et sadiques avec lesquelles des milliers d'enfants arméniens furent assassinés reflète l'efficacité de cet arrangement administratif. Comme l'a reconnu un officier turc après la guerre " les pires crimes contre les Arméniens furent perpétrés par ces criminels " (en büyük cinayetleri ika ettiler).

Il y a encore un autre aspect de cette condition de différence de traitement des enfants concernant le Génocide arménien. Contrairement aux Nazis racistes, par exemple, les Turcs ottomans appréciaient la valeur des gênes des enfants arméniens incorporés, ils étaient considérés comme une ressource inestimable pour l'enrichissement génétique de la nation turque. Par conséquent, à chaque fois que c'était possible, les Turcs musulmans, et les orphelinats dirigés par des Turcs désignés par le gouvernement, étaient encouragés à rassembler des multitudes d'orphelins arméniens, principalement des garçons, et à les élever en tant que Turcs après quelques rituels de conversion à l'Islam, y compris les circoncisions et changements de noms.

C'est sur cet arrière plan que le sort génocidaire des enfants arméniens pendant la Première Guerre mondiale peut être considéré comme une catégorie à part.

 

II - La variété de méthodes de liquidation des enfants

Une partie significative des enfants arméniens, de même que les deux autres principaux segments de la population arménienne de l'Empire, c'est-à-dire les femmes et les vieillards, succombèrent à de grandes misères, associées aux pénibles marches forcées d'une série de déplacements et déportations vers les déserts désolés de Mésopotamie, actuellement en Syrie. Ces marches étaient organisées de manière à accentuer les misères, en prolongeant délibérément, par exemple, les routes des convois, en refusant l'eau et la nourriture, et en terrorisant, de différentes façons brutales de mauvais traitements, les déportés déjà dans un état de faiblesse critique. Le danger, l'épuisement, la faim , la maladie et les épidémies aggravèrent le fardeau des victimes, composées désormais d'êtres usés à mort.. Il faut noter à ce sujet que l'absence d'hommes valides dans ces convois de déportés était due au fait que presque tous avaient été mobilisés au début de la guerre et ensuite graduellement supprimés de différentes manières.

Une autre partie importante des enfants arméniens a été victime d'un vaste éventail de massacres commis dans tous les coins de l'Empire Comme l'a déclaré l'ambassadeur Henry Morgenthau, pour économiser " de la poudre et des balles " la population paysanne musulmane de la campagne, agissant comme groupes de soutien aux gangs criminels recrutés pour le devoir de massacre, utilisaient " des massues, des marteaux, des haches, des faux, des épées et des scies. De tels instruments causaient de plus longues agonies que les fusils et pistolets " écrit l'historien britannique Arnold Toynbee dans son importante compilation des récits de témoins oculaires du Génocide arménien, pleine de détails sur ces types d'atrocités.

Des preuves dignes de confiance indiquent qu'en général la méthode de massacre immédiat fut premièrement appliquée dans des opérations dirigées contre la population mâle des 6 provinces d'Anatolie suivantes : Sivas, Diyarbekir, Harpout, Erzeroum, Bitlis et Van, auxquelles on peut ajouter la province de Trabzon. Toutes ces provinces, considérées comme des points chauds, ou des sujets de disputes dans le conflit persistant turco-arménien, furent mises sous la juridiction du Haut Commandement de la Troisième Armée dont le Q.G. était à Erzeroum.

La liquidation continue, estimée à 90 % des mâles valides de ces provinces, fut effectivement commise au printemps et en été de 1915, par le Général Mahmud Kâmil, commandant en chef de la 3ème armée. Le reste de la population devait être liquidé indirectement par des marches de déportation épuisantes et sans fin.

Mais dus à l'intervention de plusieurs facteurs, dont les fantaisies des organisateurs locaux respectifs du meurtre de masse, les procédés d'extermination ne furent ni uniformes, ni réguliers, en ce qui concerne la différenciation entre le massacre immédiat et la déportation. La totalité de la province arménienne de Bitlis, par exemple, qui comportait presque entièrement des vieillards, des femmes et des enfants, fut détruite à l'intérieur des frontières de la province. Il n'y eut pour ainsi dire pas de déportation. Excepté pour la ville de Van elle-même, le reste de la population arménienne de la province de Van, province qui, avec celle de Bitlis comprenait le berceau de la nation arménienne, fut exterminée de même par une série de massacres locaux. Dans les provinces de Sivas, Harpout, Trabzon, Erzeroum, Dyarbekir, de même que dans les sandjaks indépendants d'Ourfa et de Marash, le génocide fut accompli en partie par des déportations et en partie par des massacres.

Dans toutes ces opérations, les enfants faisaient partie de la population générale ciblée pour une destruction totale. Malgré cela, dans de nombreuses circonstances, ils furent aussi soumis à des formes séparées et différenciées de meurtres de masse. Ce fut le cas à chaque fois que des enfants ont constitué un groupe distinct et séparé. Dans la province de Trabzon, par exemple, des milliers d'enfants ont été laissés à l'arrière alors que les adultes étaient poussés dans les convois de déportation. Dans les déserts de Mésopotamie, dans le district de Deir-Zor en particulier, des milliers d'enfants émaciés, survivants squelettiques des marches de déportation, furent ainsi ciblés comme une catégorie distincte. A Erzincan,, dans la province d'Erzeroum, des centaines d'enfants abandonnés ont constitué également une cible séparée.

Ce qui suit est un résumé des principales méthodes de tuerie employées : par exemple, les opérations de noyade, de groupes brûlés vifs, les viols collectifs précédant la tuerie, au cours desquels des milliers d'enfants arméniens connurent leur sort génocidaire pendant la période 1915-1916. Comme spécifié par le vice-consul allemand de Mossoul, et par le décret gouvernemental turc, les garçons et filles jusque 13 ans faisaient partie de la catégorie " enfants ".

 

Trabzon : microcosme de tuerie d'enfants à tous les niveaux.
Opérations de noyade et viols en série.

Ville portuaire principale sur la Mer Noire, et capitale de la province du même nom, Trabzon a servi de creuset du Génocide arménien. Presque toutes les formes et aspects de ce crime furent conçus et appliqués là avec succès. Les éléments cités ci-après sont des extraits du livre de Vahakn N. Dadrian : " The Framework. The Armenian Genocide. An Interpretation " ed. Cambridge University Press. Section III Le cas de Trabzon.

Comme indiqué ci-dessus, quelque 3000 enfants furent laissés à l'arrière en tant qu'orphelins dans différents bâtiments de Trabzon. Au cours des procès du Tribunal militaire turc au printemps 1919, environ 2 douzaines de Turcs, comprenant des médecins, des officiers militaires, des personnalités gouvernementales et des commerçants, pendant 20 séances, témoignèrent oralement et par écrit des méthodes utilisées pour disposer de ces enfants. Deux docteurs en médecine, le docteur Ziya Fuad, Inspecteur des Services de Santé, et le Docteur Adnan,, Directeur des Services de Santé de la ville, ont attesté d'après les preuves réunies par les médecins turcs locaux, que le Docteur Ali Saib, directeur de la Santé Publique de la province de Trabzon, avait systématiquement empoisonné des jeunes enfants amenés par l'Hôpital du Croissant Rouge de la ville, et avait donné l'ordre de noyer dans la Mer Noire proche ceux qui avaient refusé de prendre son " médicament ". Une autre méthode employée par le Dr. Saib dans la maison pleine de jeunes enfants arméniens était le " bain de vapeur ". Installés dans une " étuve " de l'armée, les bébés étaient exposés à la suffocation par la vapeur chaude, et instantanément tués. Le Père Laurent, Père Supérieur français franciscain de Trabzon, a témoigné, par l'intermédiaire d'un interprète, qu'il avait personnellement vu les cadavres des enfants morts empoisonnés, pressés dans de grands et profonds paniers sur le sol de l'hôpital, comme des animaux d'abattoirs, puis jetés dans la mer.

Ce même Hôpital du Croissant Rouge avait été transformé en dôme du plaisir, où le Gouverneur général de la province, Cemal Azmi, gardait 15 jeunes filles, (10 ème séance de la Cour martiale du 12 avril 1919) à utiliser lors de fréquentes orgies sexuelles. Ce fait avait incité l'Inspecteur des Douanes Nedim à dénoncer le gouverneur (16ème séance) et le Lieutenant turc Hasan Maruf à exposer le fait supplémentaire qu' après avoir commis les pires outrages, les officiels gouvernementaux impliqués avaient fait tuer ces jeunes filles. Dans une étude séparée, un jeune Arménien qui avait été l'ami du fils du gouverneur de Berlin, où le Gouverneur avait trouvé refuge aussitôt après la guerre pour échapper aux procès en Turquie, fournit un renseignement supplémentaire sur cet épisode de débauches fatales : au cours d'une de ses vantardises au sujet de ces débauches, le Gouverneur Azmi avait dit au jeune Arménien (croyant qu'il était turc, car il avait assumé complètement une identité turque musulmane, y compris un nom turc Mehmed Ali, étude complète du Coran, la Loi Sacrée Islamique, et la circoncision) " Parmi les plus jolies fillettes de 10-13 ans, j'en ai choisi un certain nombre et les ai offertes à mon fils (qui avait alors 14 ans) comme cadeau, les autres je les ai noyées dans la mer ".

Au cours de ces procès de la cour martiale, Nuri, le chef de la police de Trabzon, a reconnu avoir conduit à Istanbul plusieurs jeunes filles arméniennes comme cadeaux du gouverneur Azmi aux dirigeants du parti CUP - Comité Union et Progrès - (9ème séance, 10 avril 1919) Des faveurs sexuelles similaires furent accordées, selon les rapports relatifs à leurs activités, aux autres potentats du parti Jeune Turc, tels que le commissaire CUP de Trabzon, Yenibahceli Nail, qui, selon le consul U.S. de Trabzon, Oscar S. Heizer " avait dix de ces plus jolies filles dans une maison de la partie centrale de la ville ". Heinrich Bergfeld, le consul allemand à Trabzon, avocat professionnel, et ardent turcophile, dans sa critique du meurtre de masse de Trabzon, attira l'attention sur les nombreux viols de jeunes filles. Dans son verdict, rendu public à la fin des procès de Trabzon, le Tribunal souligna le fait que ces viols en série, " la violation de victimes impuissantes " et le fait que " ces jeunes filles avaient été déflorées (izaleyi bikr) dans l'hôpital qui était censé avoir une mission humanitaire ".

Un des traits les plus horribles de la tuerie d'enfants à Trabzon était la méthode de les noyer en masse, soit dans le fleuve de Trabzon, Degirmendere, soit principalement le long des côtes portuaires de la Mer noire. Le témoignage le plus poignant sur ces opérations de noyade fut fourni par le député turc de cette province, Hafiz Mehmed, qui était avocat de profession.

Dans un discours d'après-guerre (11 décembre 1919) à la Chambre des députés du Parlement ottoman, il révéla comment il avait personnellement vu, un jour, des femmes arméniennes et des enfants chargés dans des péniches dans la ville portuaire d'Ordu de la province de Trabzon, et noyés en haute mer. Il déclara ensuite que les habitants locaux se lamentaient en disant : " Dieu nous punira pour ce que nous avons fait ". Lors de la 15ème séance des procès de Trabzon, un marchand turc d'Ordu, Hüseyin, appelé comme témoin, confirma cette opération de noyade. Dans son verdict, le Tribunal insista sur ces références aux opérations de noyades ciblées spécialement sur de " jeunes enfants garçons et filles " (zükur ve inas cocuklari) avec l'aide de " criminels récidivistes " (cerayimi mükerrere). Dans l'un de ses rapports les plus longs et les plus détaillés à Washington, US, le consul de Trabzon, Oscar Heizer, écrivait également : un certain nombre de barques furent chargées de gens à plusieurs reprises, de sorte que des corps de femmes et d'enfants ont plus tard été rejetés par la mer sur la plage de sable, sous les murs du monastère italien ici à Trabzon, et furent enterrés par des femmes grecques dans le sable, là où elles les avaient trouvés.

Pour sa part, Signo Gorrini, le consul général italien de Trabzon, en un rapport détaillé, attira l'attention sur le fait suivant : Les enfants étaient arrachés à leur famille... placés par centaines dans des bateaux avec seulement leurs chemises, chavirés et noyés dans la Mer Noire et le fleuve Degirmendere. Ce sont là mes souvenirs inoubliables de Trabzon, des souvenirs qui, des mois plus tard, tourmentent encore mon âme et me rendent furieux.

Le Consul d'Autriche-Hongrie, Ernst von Kwiatkowski, et le Consul d'Allemagne, Heinrich Bergfeld, tous deux alliés pendant la guerre à la Turquie Ottomane, promus docteurs en histoire et en droit, respectivement, envoyèrent à Vienne et à Berlin de nombreux télégrammes chiffrés, mentionnant " des femmes et des enfants chargés dans des péniches, conduits en haute mer et noyés là-bas ". Le colonel Stange, officier de combat allemand de plus haut rang, dont le régiment de Turcs irréguliers avait d'abord été rassemblé à Trabzon, confirma ces opérations de noyade (auf's Meer hinausgefahren und dannüber Bord geworfen). Après avoir dénoncé dans son rapport " secret " envoyé au Quartier Général allemand ces actes de " brutalité bestiale " perpétrés par de la 'racaille' (Gesindel) et des " brigands " relâchés des prisons, il conclut que toutes ces opérations faisaient partie et formaient une parcelle d'un plan global d'un meurtre de masse complet " conçu longtemps à l'avance ". Faisant écho à ces preuves de première main que les rapports de la Cour martiale d'après guerre avaient édités, le journal turc Hadisat souligna les triples atrocités perpétrées contre les enfants arméniens de Trabzon : viols en séries, empoisonnements et noyades.

 

Autres sites de noyades et de viols en séries.

Les opérations de noyades ne se limitèrent pas aux mers et aux fleuves, elles eurent lieu aussi dans des lacs. Le rapport du Consul des Etats Unis de Harpout, Leslie A. Davis, est remarquable à ce sujet. Dans sa longue analyse du génocide qui eut lieu dans sa circonscription, la province de Harpout, il décrit comment les orphelinats dans lesquels les enfants arméniens étaient rassemblés après l'extermination de leurs familles, servaient de camps de transit, pour une élimination postérieure par noyade. Ce rapport précise que le Consul Davis avait demandé l'autorisation au gouverneur général de la province de Harpout, Sabit, d'ouvrir un orphelinat pour " les centaines d'enfants qui arrivaient sans cesse d'autres lieux..." Répondant que le gouvernement allait prendre soin d'eux, le gouverneur refusa cette autorisation. Juste après que le Consul eût quitté le bureau du gouverneur, un ordre fut adressé : Tous les enfants, avec les autres femmes qui restaient, devaient partir le mardi suivant, c'est-à-dire dans trois jours. " Puis les enfants disparurent, et on apprit qu'ils avaient été emmenés dans un lac à environ 20 miles de Harpout et noyés ".

Le Consul Davis décrit ensuite la scène d'horrible boucherie autour du lac de Goeljuk " distant d'environ cinq heures de son siège de Harpout " : " Finalement, un Turc me raconta très confidentiellement, qu'il avait vu des milliers de corps morts autour du lac de Goeljuk, et me proposa de m'emmener dans les endroits où ils se trouvaient ". Le Consul estima que 'dans l'espace de vingt-quatre heures, nous avions vu les restes de pas moins de dix mille Arméniens qui avaient été tués autour du lac de Geljuk. Ceci naturellement est approximatif... Je suis sûr, néanmoins , qu'ils étaient plus nombreux, plutôt que moins, que ce chiffre...' Après avoir décrit les blessures béantes par baïonnette sur la plupart des corps nus, généralement à l'abdomen ou dans la poitrine, quelquefois à la gorge de victimes présentant des signes de mutilation barbare, le Consul Davis déclara : " Ce qui s'est passé autour du magnifique lac de Goeljuk en été 1915 est presque inconcevable. Des milliers et des milliers d'Arméniens, principalement des femmes et des enfants impuissants et innocents, furent massacrés sur ses rives et mutilés d'une façon barbare ".

Un autre centre de meurtre de masse par noyade impliquant spécialement des enfants fut la Gorge Kemach sur l'Euphrate, à environ 50 km au sud ouest d'Erzincan, dans la province d'Erzeroum. Une grande partie de la population arménienne de cette province, environ 20 à 25000 , en particulier ceux d'Erzincan, furent massacrés à l'aide d'irréguliers, c'est-à-dire les brigands du 86ème régiment de cavalerie de la 29ème division du 9ème Corps d'armée de la 3ème armée ottomane du Q.G. d'Erzeroum. D'après un 'rapport consulaire' l'ambassadeur d'Amérique en Turquie, Morgenthau, a déclaré qu'à la Gorge de Kemach " des centaines d'enfants furent passés à la baïonnette par les Turcs et jetés dans l'Euphrate ".

De même, un grand nombre d'enfants arméniens ont été détruits par noyade de masse dans la partie basse de l'Euphrate mésopotamienne, spécialement dans la zone de Deir-Zor. L'équivalent arménien d'Auschwitz. Selon le témoignage d'un survivant arménien, Mustapha Sidki, le chef de la police de Deir Zor, le 10 août 1916, sélectionna les plus jolies filles d'un convoi de déportés. Elles furent emmenées sur un pont de l'Euphrate où le chef de la police et ses complices les violèrent. Les victimes furent ensuite jetées dans le fleuve pour être noyées. Le même chef de la police, le 24 octobre 1916, donna l'ordre de transporter 2000 enfants orphelins, les mains et les pieds liés, sur les rives de l'Euphrate. Ils furent ensuite jetés dans le fleuve, deux par deux, à la satisfaction visible du chef de la police, qui prenait un plaisir spécial à la vue du drame de ces noyades.

Comme décrit ci-dessus au sujet des atrocités commises à Trabzon, le viol sous toutes ses formes fut l'un des aspects les plus communs du Génocide arménien. Comme l'a admis le lieutenant turc Hasan Maruf, aux Britanniques qui l'avaient fait prisonnier " les cas de viols de femmes et de fillettes, même publiquement, ont été très nombreux. Elles étaient systématiquement tuées après l'outrage ". Comme ce fut le cas à Trabzon, des multitudes de jeunes filles furent transportées à Constantinople de différents endroits d'Anatolie, pour divers buts, y compris le sexe. Une résidente australienne de Tarse, près d'Adana, Mrs. Christie, rapporta dans son journal intime qu'un grand nombre de filles étaient ramassées dans les écoles de la cité et mises à la disposition des officiers dans les baraques militaires de la ville " plus d'une centaine d'entre elles ont été conduites en automobile à Constantinople ". L'une d'entre elles, d'environ 15 ans, trouva moyen d'échapper au sort des autres.

Dans les déserts de Mésopotamie, dans le triangle formé par les fleuves Euphrate et Khabour, qui se rejoignent près de Deir Zor, le viol était le routine. Selon un survivant, par exemple, le maire de Ras-ul-Aïn, Hüseyin Bey, un Tchétchène, se vanta d'avoir violé à lui seul, 50 à 60 filles arméniennes. Ses fils en faisaient autant régulièrement.

Un autre lieu de viols à grande échelle était l'usage et l'abus d'églises arméniennes comme bordels temporaires . Des jeunes filles arméniennes étaient rassemblées et rendues disponibles aux officiers et soldats turcs. Comme le rapporta un pharmacien suisse, dans la ville d'Ourfa, par exemple, " la grande église arménienne grégorienne, et le sanctuaire arménien, avaient été transformés en bordel. Les officiers militaires, les gendarmes, les officiers de police, et de simples Turcs de la ville, venaient habituellement choisir des filles pour leur plaisir ". Un épisode similaire de profanation pour sexe est relaté par un capitaine turc, Nebil Bey. Ainsi qu'il l'a rapporté, quelque 300 jeunes filles " appartenant aux meilleures familles arméniennes de Bitlis " furent rassemblées dans l'église arménienne de la ville " pour l'usage de l'armée. Des soldats, ainsi que des officiers se rendaient à l'église, qui devint bientôt un foyer de maladies. Chaque régiment qui passait par la ville en route pour le front, laissait ses traces, de sorte qu'après quelque temps toutes ces filles infortunées furent infectées ". En conséquence, le commandant de Bitlis décida de punir les filles " pour avoir épuisé les forces vitales de l'armée ottomane, et empoisonné par leur infection les enfants de la Patrie ".

Certaines des filles furent empoisonnées, d'autres furent tuées sur-le-champ. Le capitaine ajouta que tout cela avait été fait selon les ordres du Commandant en chef de la troisième armée, le Général Mahmud Kâmil. La liberté accordée aux militaires et aux civils turcs de violer à volonté toute fille arménienne fit des victimes par épuisement fatal. Comme le concéda un membre du tribunal turc, dans Ourfa, 95 % sur un groupe de 100 soldats... moururent d'épuisement et de maladie pour avoir commis des viols excessifs.

 

La liberté de viols homosexuels.

La licence sexuelle prévalant pendant le Génocide arménien ne s'est pas limitée aux jeunes filles arméniennes. Un pharmacien suisse, qui pendant la guerre était resté à Ourfa et avait beaucoup voyagé dans la région, affirme que beaucoup de viols homosexuels à grande échelle ont eu lieu à la fois lors des tueries génocidaires, et dans les maisons turques où de jeunes garçons arméniens étaient retenus comme adoptés. Selon ses déclarations " les officiers turcs, en particulier, infligeaient des actes incroyables et indicibles à des filles arméniennes, mais personne ne peut imaginer l'amplitude des crimes sexuels contre-nature commis sur des centaines et des milliers de garçons arméniens ". Il affirma même que " longtemps après la fin des tueries, des viols, des actes de défloration de vierges et autres formes de violations sexuelles, spécialement sur de jeunes garçons, continuèrent. "

Les deux rapports suivants du pharmacien suisse donnent des exemples de viols indiqués ci-dessus. Un garçon arménien, adopté dans une famille turque de Mezré, dans la province de Harpout, a écrit les cas de viols régulièrement commis par un Turc, en toute connaissance de sa femme, dans cette maison. Il cite aussi le cas d'un hodja, un enseignant musulman, auteur d'une tentative de viol.

Les autres cas concernent des viols avant meurtre. Dans la province d'Ankara, près du village de Bash-Ayash, deux violeurs-tueurs, un brigand Déli Hasan, et un gendarme, Ibrahim, violèrent 12 garçons âgés de 12 à 14 ans, et les tuèrent ensuite. Ceux qui n'étaient pas morts sur le coup furent torturés à mort, tandis qu'ils criaient " Maman ! Maman ! "

Enfin, on peut citer une autre réplique d'empoisonnement massif d'enfants décrit ci-dessus dans le cas de Trabzon. Une survivante de Giresun raconte comment à Agn (Egin), dans la province de Harpout, quelque 500 orphelins arméniens rassemblés de toutes les parties de cette province furent empoisonnés avec l'aide du pharmacien et du médecin local. Après avoir achevé son opération fatale, le médecin turc, dit-elle, a déclaré : " Les Arméniens n'ont pas de cimetières, l'Euphrate est leur tombeau " (Ermenilerin topragi yoktur. Onlarin mezari Yeppraddir).

 

L'Holocauste des Enfants arméniens.
Meurtre de masse infernal en les brûlant vifs.

Comme il est écrit au début de cette étude, les décideurs et les organisateurs du Génocide arménien étaient décidés à appliquer un plan aussi radical que possible d'extermination totale. Ils étaient désagréablement surpris par l'inefficacité des massacres partiels de l'époque du Sultan Abdul Hamid, 1894-1896, et de la façon dont les Arméniens, loin d'être impotents pour toujours, avaient, en l'espace d'une vingtaine d'années, rebondi et reconstitué une communauté viable et vibrante. Pour éviter une faute similaire et atteindre dans le génocide projeté un effet optimum quant au résultat, ils inventèrent une nouvelle tactique : la libération de milliers de criminels des prisons de l'Empire. Ils devaient être aussi vicieux que possible, de manière à éviter de succomber à des sentiments occasionnels de pitié vis-à-vis des vieillards, des femmes et des enfants, et à les massacrer sans discrimination et impitoyablement. On leur joignit d'autres milliers de Kurdes et d'immigrants déplacés du Caucase, en particulier des Tchétchènes du Caucase, et de la péninsule des Balkans. Tous ces groupes étaient remplis de haine envers les Arméniens envers lesquels ils projetaient leur animosité anti-chrétienne héritée de leur conflit avec le Russie chrétienne ou les nationalités chrétiennes de la péninsule des Balkans, d'où ils avaient été évincés ou qu'ils avaient choisi de quitter. Encore plus convaincant, cependant, était leur sens de l'avarice et de la cupidité, et leur envie de lascivité et de sexualité illimitée.

Dans les incendies de masse d'orphelins arméniens, leur sadisme diabolique fut principalement à l'oeuvre. Après l'élimination du reste de la population arménienne, ces survivants étaient devenus une gêne pour les criminels. De plusieurs points de vue, il était estimé plus économique de mettre fin à leur misère en les brûlant en masse. Dans quatre provinces, c'est-à-dire Diyarbékir, Harpout, Bitlis et Alep, cette méthode fut appliquée avec une férocité spéciale. A Diyarbékir, par exemple, le docteur Reshid, un Tcherkesse ayant des racines ethniques dans le Caucase, et gouverneur général de cette province, " prit 800 enfants, les enferma dans un bâtiment, et y mit le feu ". Qu'une telle barbarie ne se soit pas limitée à brûler vifs des enfants est prouvée par le détail suivant, extrait du journal d'une missionnaire catholique française qui se trouvait là pendant la période des massacres, c'est-à-dire juin-décembre 1915 : " Dans cette province, c'était la coutume d'enterrer vivant, dans de grands fossés ; et dans l'un d'eux tombèrent des centaines d'enfants de 7 à 13 ans. Après un laps de temps de plusieurs jours, on pouvait voir les ondulations de la terre qui transmettaient l'agonie de ces âmes remuant dans les entrailles de leur hécatombe. " Selon le compte-rendu d'un témoin oculaire, dans un autre cas, à Furuncular, district de Malatya dans la province de Harpout, les gendarmes enterrèrent vivants, dans une large fosse creusée auparavant, 90 à 100 enfants arméniens âgés de 3 à 4 ans. Les victimes, sentant leur mort imminente se mirent à pousser des cris hystériques et de désespoir, à mesure qu'elles étaient jetées dans la fosse, située en un lieu ironiquement appelé " Le Jardin des Enfants " (cocuklar bahcesi). Mais l'abominable opération fut complétée en quelques minutes.

Dans la province de Harpout, l'administrateur Kadri " brûla à mort 800 enfants natifs de Palu ", province de Diyarbekir.

Durant l'une des principales marches vers la mort de Deir Zor, deux principaux camps de la mort dans les déserts de Mésopotamie, Souvar et Shedadiye, un gigantesque acte d'holocauste fut commis envers 5000 enfants arméniens. Pendant 4 jours, environ 60000 déportés émaciés avaient été conduits dans ces camps. C'était le 25 août 1916 (ou 7 septembre 1916 d'après le nouveau calendrier) le jour du Festival Musulman du Sacrifice (kurban bayrami). Les orphelins mis de côté furent entassés dans un grand orphelinat de Deir Zor. Ils furent ensuite poussés par fournées dans un endroit situé à environ une heure de la cité, arrosés de pétrole et brûlés à mort. Cette méthode d'immolation par holocauste n'était cependant pas limitée aux enfants. Selon le récit d'un témoin oculaire juif, elle fut infligée pendant la même période, dans la même région de Deir Zor, à des multitudes d'autres Arméniens, principalement des femmes. Eitan Belkind était un officier de l'armée turque et était assigné au Q.G. de la 4ème armée ottomane, dont la juridiction incluait Alep, les déserts de Mésopotamie et Deir Zor en particulier. Il était assigné au voisinage du fleuve Khabour qui passe par Suvar et Shedadiye .

Voici son récit : " Après un trajet de trois jours, j'ai atteint le coeur de la Mésopotamie, où je fus témoin d'une terrible tragédie... Les soldats tcherkesses avaient ordonné aux Arméniens de ramasser des épineux et des chardons et de les empiler en une haute pyramide, ensuite ils attachèrent tous les Arméniens qui étaient là , presque 5000 personnes, main dans la main, les mirent en cercle autour de la pile d'épineux et de chardons et y mirent le feu. Les flammes montaient jusqu'au ciel accompagnées des cris des malheureux brûlés à mort... Deux jours après, je suis retourné à cet endroit, et j'ai vu les corps calcinés de milliers d'être humains. "

Les opérations les plus étendues d'incendies de masses d'enfants eurent lieu cependant dans la province de Bitlis. La participation massive de certaines tribus kurdes dans ces opérations cusa des ravages dans la population victime. L'instigateur de l'holocauste était le général gouverneur de la province, Mustafa Abdulhalik (Renda), qui se trouvait être le beau-frère du Ministre de l'Intérieur, plus tard Grand Vizir, Mehmet Talaat Pacha, le principal architecte du Génocide arménien. Selon le témoignage de l'évêque catholique arménien de Trabzon " Ayant rassemblé 1000 jeunes enfants, le général-gouverneur Mustafa Abdulhalik les conduisit en un lieu appelé Tashod où il les fit brûler à mort en présence de notables et de foules turques, tout en criant à voix haute : 'Il est nécessaire d'effacer une fois pour toutes le nom arménien de ces provinces pour la sécurité de la Turquie'. Les enfants ou ce qu'il en restait furent par la suite jetés dans des fossés préparés à l'avance spécialement pour eux. Les gémissements ne ceux qui n'était pas complètement consumés pouvaient s'entendre pendant des jours.

Deux Européens témoins oculaires ont rapporté aussi ces incidents d'enfants brûlés vifs.
Une missionnaire suédoise Alma Johanson, qui dirigeait l 'orphelinat allemand à Mouch, rapporte que les orphelins arméniens, avec le personnel de l'orphelinat, " furent brûlés vifs " (lebendig verbrannt) "C'était bouleversant d'entendre les cris des gens et des enfants qu'on brûlait à mort dans leurs maisons. Les soldats prenaient un grand plaisir à les entendre " ;
De son côté, M.D.H. Stoffels, du personnel médical du Corps expéditionnaire perse, rapporte au Consul d'Autriche à Trabzon, que lors de son trajet vers Mossoul, il traversa Mouch (et Siirt, dans la même province) " ainsi qu'un grand nombre d'anciennes localités arméniennes, où il vit, dans les églises et les maisons, les corps calcinés et décomposés de femmes et d'enfants " (verkohlte und verweste Fraue-und- Kinderleichen).

On peut aussi se référer au maire Venezuelan, volontaire au service de l'armée turque ottomane lors de la Première Guerre Mondiale, et qui fut assigné à servir dans les régions de Bitlis, Van, et Mouch, comme Inspecteur général des Forces turques en Arménie. Dans ses Mémoires, il déclare qu'à Mouch " les femmes et les enfants étaient parqués et brûlés vifs "
Peut-être que le témoignage le plus tranchant d'un témoin oculaire sur le véritable holocauste des enfants arméniens à Mouch, dans la province de Bitlis, provient d'un Commandant de l'armée turque, le Général Mehmed Vehib. Chargé de compléter la partie principale du Génocide arménien, il fut désigné Commandant en Chef de la Troisième Armée en février 1916. Vaillant officier militaire, il fut consterné de constater qu'une nation entière avait disparu du pays. Un massacre local de soldats du bataillon de travail arménien de sa juridiction l'incita à faire une enquête, à installer une cour martiale, et exécuter deux auteurs de génocide. Dans son rapport détaillé après la guerre, rédigé à la requête du Tribunal Militaire turc, il donne un aperçu de la nature du génocide qui avait eu lieu dans les régions des six provinces orientales sous l'autorité de la 3ème Armée. Dans ce rapport, le Général Véhib témoigne de ce qu'il a vu personnellement, lors d'une visite d'inspection. " Des femmes et des enfants arméniens furent brûlés vifs dans le village de Tchurig, situé à 5 km
au nord de Mouch " Il avait vu les reste des victimes calcinés, et déclare indigné : " Il est difficile de trouver en Islam un parallèle à une telle atrocité et une telle sauvagerie " (Tarihi Islamda misli görülmemish bir zulum ve vahset).

Une autre source militaire turque crédible, claire et sans équivoque, confirme l'holocauste radical auquel furent soumis les Arméniens de Mouch et des 98 villages arméniens de la plaine de Mouch - avec la justification douteuse que " les unités armées arméniennes attaquaient les soldats et les villages turcs ". Cette source révèle également les opérations de gens entièrement brûlés vifs, conduites par le Colonel Kâzim, un officier de 31 ans, qui avait été auparavant impliqué dans les combats à Van, où les Arméniens s'étaient révoltés contre la déportation et la destruction imminentes. Après le 26 juin 1915, la Division Van Gendermere de Kâzim fut supprimée, et il devint Commandant de la 36ème Division à Mouch. Plus tard, Kâzim (qui avait adopté le surnom de Özalp) selon cette source turque, " incendia toute la vallée de Mouch et supprima les Arméniens ".

 

Les éléments de licence d'abominations envers les enfants arméniens

En règle générale, le degré de succès d'un génocide dépend, tout le reste étant équivalent, du caractère impitoyable , aux frontières du vice, de la conception, de l'organisation, de la supervision et de l'application du crime. Le plus souvent, cependant c'est au niveau de l'application que se mesure et se détermine le succès ultime. Comme spécifié ci-dessus, une grand partie des exécutants du Génocide arménien étaient fortement motivés dans leur implication. La frustration, une agression déplacée, la rage, la cupidité, et dans une moindre mesure un conditionnement culturel pour une violence primordiale, furent tous les facteurs qui convergèrent vers une impulsion atavique pour le génocide.

Une brève revue du modus operandi de Salihzéki, le mutasarrif de Deir Zor et suprême organisateur du Génocide arménien complémentaire dans les déserts de Mésopotamie en été 1916, donne un aperçu de ce type de motivation. En plusieurs occasions, il réprimanda ses subordonnés tchétchènes pour leur inaptitude dans l'art de la cruauté et du vice. A Deir Zor, par exemple, il réunit ses exécutants tchétchènes et leur recommanda de ne pas éprouver de pitié, et de ne pas céder aux tentatives de corruption en vue d'aider quelques Arméniens à échapper à leur sort. Il monta ensuite sur son cheval, saisit un enfant arménien de deux ans dans une tente à proximité, l'amena aux Tchétchènes et leur dit :

" Même cet innocent - si tant est qu'on puisse considérer un rejeton arménien comme innocent, car ces fils de chiens ne sont plus innocents - nécessite d'être tué, exactement comme les autres de son âge, sans pitié. Un jour viendra où ils vont se relever, dénicher les responsables des tueries des Arméniens, et se venger. " Il fit ensuite tournoyer l'enfant en l'air plusieurs fois et le jeta violemment par terre.

Une autre fois, il réprimanda sévèrement ses aides tchétchènes et arabes, leur interdisant strictement de relâcher ou de laisser échapper un Arménien.

" Qu' avez-vous besoin de pots-de-vin ? Si ce que vous voulez est de l'argent, tuez-les d'abord, ensuite vous aurez tout leur argent et leurs biens. Tuez-les d'abord, et ensuite vous aurez tout ce qu'ils possèdent... Vous êtes en train de rendre un service à l'Empire, donc votre travail est légitime. Vous avez accompli votre mission, mais soyez conscients du fait que si l'un de ces fils de chiens, si c'est un petit garçon, reste en vie, il se vengera un jour. "

Salihzéki comptait presque entièrement sur les tribus tchéchènes qui vivaient principalement à Séfa, au sud-est de Ras-Ul-Ain, et qui à l'origine avaient émigré du Caucase. Les chefs des gouvernements locaux de Ras-Ul-Ain, Suvar, Shedadiye et Hassiche, étaient ses plus proches complices. En outre, il avait co-opté le député de Deir Zor, le gouverneur d'Aneh, les commandants Salahaddin et Ali Bey, le colonel de cavalerie Hasan, le lieutenant de cavalerie Tevfik, le commandant de la garnison de Deir Zor, Mustafa, le chef de la police d'Aneh, Bedri, l'inspecteur de police Balsidi et une dizaine d'officiers de police.

Cette sous-culture de barbarie primordiale joua tout son rôle en plusieurs occasions, qui ont été rapportées par des témoins oculaires étrangers et des survivants arméniens. Un chroniqueur allemand relate, par exemple, comment des gendarmes firent sauter les cerveaux d'enfants arméniens qui traînaient derrière les convois en écrasant leur boîte crânienne.

Voici trois exemples supplémentaires des champs de la mort de la célèbre Gorge Kemach près d'Erzincan, témoignages fournis par deux survivants arméniens :

1. 25 mai 1915
" Dans la plaine près du col de Kemakh, où nous avions campé, les gendarmes entrèrent dans la tente d'un voisin, et en vue de se saisir de la jolie fille Armine, ils tuèrent son père, son frère et deux jeunes neveux. Armine fut emmenée et ne revint plus jamais."
YEPRAKSI YANIKIAN

2. 26 mai 1915
" Dans ce même endroit, en plein jour, deux gendarmes tuèrent avec leurs baïonnettes Aram Kasparian, et emmenèrent sa jolie femme. Son enfant de 6 ans qui pleurait et criait sur le corps saignant de son père, fut emmené et une longue baguette de bois fut enfoncée dans son rectum et il fut brandi au peuple dans cet état avec les cris de : 'Voici votre drapeau !'
YEPRAKSI YANIKIAN

3. 26 mai 1915
" Dans ce même endroit, plusieurs gendarmes prirent de force le jeune garçon Mesrob, âgé de 5 ans, des bras de sa mère, ils le clouèrent sur un cadre en bois par les yeux, les mains et les pieds, puis ils l'élevèrent au milieu du peuple avec les cris de : 'Voici votre Christ et sa Croix, qu'il vienne et vous sauve ! "

 

Exceptions insuffisantes de Turcs bienveillants

L'ampleur du nombre de victimes du Génocide arménien témoigne du succès de l'entreprise fatale du régime Jeune Turc Ittihadiste. Mais il témoigne aussi de la faible quantité de " Justes " Turcs, dont l'implication en plus grand nombre aurait pu faire une différence dans le résultat du Génocide. Il est vrai que les ordres étaient stricts, et que de graves menaces pesaient sur de telles implications, mais les marges de manoeuvre et les possibilités de circonvenir à de tels ordres étaient également considérables. Les clivages religieux et les incitations du temps de guerre contre les Arméniens, conduisirent à l'empêchement de l'engagement d'un nombre significatif de Turcs d'intercéder ou d'aider directement les Arméniens destinés à l'extermination.

Néanmoins, il est tout à fait juste que lorsqu'une minorité négligeable essaie d'aider, de telles personnes devraient être distinguées et reconnues pour leur bénévolat courageux. Les cas ci-dessous ne sont que des exemples. Ils ne sont pas les seuls. L'un de ces exemples est à la fois frappant et émouvant. Selon l'information fournie par le Patriarcat d'Istanbul lors de l'Armistice, un certain nombre de bons officiers militaires turcs prirent la peine d'amener avec eux et de remettre au Patriarche plusieurs filles et garçons orphelins, des lointaines provinces de Harpout, Alep et Diyarbekir, courant de grands risques personnels pour eux-mêmes. Dans un autre cas, un colonel a osé transporter immédiatement onze petites filles à Istanbul et les a remises au Patriarche. A Arabpunar, un major turc qui parlait allemand dit à une employée allemande de la Compagnie des Chemins de Fer de Bagdad que lui et son frère avaient sauvé chacun et amené avec eux une petite Arménienne qu'ils avaient trouvée dans les rues de Ras-Ul-Ain. Il critiqua fermement les autorités pour les atrocités " que notre Coran interdit " dit-il.

Le fait pour les enfants arméniens d'avoir été victimes d'un génocide a également une signification et une conséquence pour les enfants survivants. Des milliers d'entre eux ont été adoptés comme fils et élevés en tant que Turcs. Des dizaines de milliers de fillettes et de jeunes filles ont de même été absorbées dans la nation turque, comme servantes, concubines pour harems, ou épouses légitimes après conversion à l'Islam. Cependant beaucoup d'autres
languirent dans des orphelinats. Le sujet des enfants arméniens victimes de génocide, pour être complet, nécessite d'être exploré plus à fond, en ce qui concerne leur statut final de victimes, c'est-à-dire les différences de sort entre les orphelins survivants, concubines, mariées, ou convertis.


Texte anglais envoyé par le CRAG (Campagne pour la Reconnaissance du Génocide Arménien) http://www.24april.org et traduit par Louise Kiffer