Le sort des Arméniens au début du 20ème siècle
dans l'Empire Ottoman et les raisons pour lesquelles
certains se sont révoltés.

Extrait du livre "ANTRANIG" de Lévon G. Lulédjian, publié en arménien par l'Université d'Erévan, en 1992.

L'épisode c: " La lutte du Monastère Arakélots " peut être lu en arménien sur le site : http://www.ermeni.org

Ce petit livre publié pour la première fois à Boston en 1924 rassemble les mémoires du général Antranig en 1901 au sujet du combat héroïque des fédaïs arméniens en révolte contre l'Etat turc dans le monastère "Arakélots" de Mouch. Les compagnons d'armes d'Antranig étaient: Kevork Tchavouch, Hagop Godoyan, Seydo Boghos et autres braves.

Il a été beaucoup écrit au sujet de ce combat héroïque, mais ce récit est plus sûr et plus authentique puisque le narrateur est le général lui-même.

Il reste au lecteur à revivre et juger avec sagesse d'un point de vue actuel cette page éblouissante de notre histoire pleine de patriotisme.

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C'était le mois d'octobre de l'an 1901. Dans le village de Guéligouzan, nos soldats organisèrent une réunion secrète consultative : moi, Kévork, Haroutioun, Vagharchag et Hadji Hagop. Le but de notre délibération était de trouver un moyen et une voie pour adoucir les souffrances qui pesaient sur le peuple arménien, faire cesser l'oppression et les persécutions des Turcs et des Kurdes, car les Turcs et les Kurdes commettaient leurs crimes librement et sans crainte dans les villages arméniens, ils usaient de toutes sortes de violences, et le gouvernement voyant tout cela ne punissait pas, ne freinait pas et ne réprimandait pas. Non seulement le gouvernement fermait les yeux pour ne pas voir ni entendre les récits de ces crimes, mais il les encourageait secrètement et les organisait, pour faire avancer sa politique de persécution et d'élimination des Arméniens, en ornant la poitrine des auteurs de ces forfaits de médailles du mérite et en leur accordant des privilèges.

Depuis Dikranaguerd jusque la frontière perse, 150 000 Kurdes et Hamidiés,[régiments kurdes ] armés de fusils turcs modernes et de fournitures, accomplissaient la volonté du Sultan Hamid. Ces achirets (tribus) kurdes - de Badgan, Slivan, Khelan, Bekrden, Botan, Kherzan, Bochegh, Belek, Mellan, Rechkotan, Hesnan, Srig, Djelal, Haïdaran, Moukhour, Takhour, Meghreg, et autres achirets semblables, grands ou petits, étaient séduits par diverses promesses. Les Hamidiés avaient des privilèges particuliers exceptionnels. Ils payaient à peine 15 % d'impôts au gouvernement, et c'était pour la forme. Le gouvernement turc ne voulait pas troubler leur amitié par un prix quelconque, pour ne pas avoir à affronter leurs complots et leurs rebellions.

C'était une réalité simple, très simple, que le gouvernement turc essayait à tout prix de s'attacher l'amitié de ces achirets (tribus) kurdes, pour opprimer le peuple arménien, le piller et l'affaiblir. Ces violences et ces sévices énervaient l'âme et les mains bâtisseuses du peuple arménien, appelé à être toujours soumis et esclave docile des peuples turc et kurde. Les Kurdes et Hamidiés, de même que le peuple turc, avaient de droit de suspendre aux murs de leurs maisons, des fusils, des pistolets, des sabres, librement et sans crainte, mais l'Arménien n'avait même pas le droit d'avoir une lime. Il fallait que l'Arménien soit persécuté, opprimé et affaibli. C'était là la représentation mentale du gouvernement turc. Des petits prétextes insignifiants, des petits travaux impitoyables et de nature capricieuse, étaient constamment invoqués pour remplir les prisons du gouvernement de prisonniers arméniens, et contraindre le peuple arménien au deuil, à la terreur et aux larmes. Le paysan arménien, rempli tous les jours de nouvelles souffrances, était le spectateur silencieux de crimes qui lui brisaient le coeur et l'affligeaient. Les villages arméniens étaient étranglés par les ruines, le sang et le deuil et il n'y avait personne pour trouver un remède à leur souci et les en délivrer. La paysannerie arménienne, affolée, nous confiait chaque jour, à chaque instant sa douleur, la peine et l'affliction de son coeur, attendant un remède et une délivrance.

Un officier de police turc, de Mouch, avait violé une jeune fille nommée Mogatsi Yester. Au moment où il allait commettre une seconde fois son forfait, le frère de Yester et son cousin avaient poignardé le violateur et s'étaient sauvés dans la montagne. Pour le meurtre de cet infect Turc, quinze Arméniens innocents étaient incarcérés, soumis à des tortures indicibles.

Les maisons du village de Mogounk avaient été incendiées, et la population répandait le spectre de la terreur et de la persécution au-dessus des champs de Mouch.

Le chef de l'achiret de Kherzen, Bechar, continuait, déchaîné et sans crainte, ses brutalisés sauvages, encouragé par le gouvernement. C'est cette sauvagerie qui l'avait fait décapiter Sérop Pacha et tuer son frère et leurs huit soldats, et avait planté la tête de Sérop sur une perche et l'avait montrée sur toutes les places de Mouch et de Bitlis. C'était ce monstre cruel qui, avec Ali Pacha, dans le village d'Sbaghank du Dalvorig avait fait tuer vingt-sept femmes et enfants avec le Père Der Bedros, et 48 heures après, il avait fait déterrer les cadavres que les paysans avaient enterrés, les avait fait transporter dans la maison de Réis Magar, recouvrir de 180 bottes de foin, arroser de pétrole et incendier pour effacer toute trace.

C'était ce même monstre, la poitrine bardée de médailles du Sultan Hamid, qui continuait ses actes de barbarie, ses férocités et son oppression envers les paysans arméniens innocents et paisibles. C'était ce monstre, qui s'étant précipité sur le village de Héting avait attrapé sept jeunes gens, leur avait fait attacher les bras, les avait descendus dans la rivière et les avait fusillés; Moi, comme j'avais tué ce criminel de mes propres mains... le gouvernement turc avait emprisonné 31 Arméniens innocents, les soumettant à des privations indicibles.

Devant ces crimes plus tristes et plus effrayants les uns que les autres, et se surpassant les uns les autres, et devant l'oppression, la population arménienne, bouleversée, attendait un remède et une délivrance. De Mouch, de champ de Mouch, Akhlat et jusque Boulanekh, une pétition munie de 3700 signatures fut adressée au Tsar de Russie, promettant d'embrasser la religion orthodoxe, si seulement le Tsar promettait de les défendre contre l'oppression turque et kurde. Sous le poids des souffrances physiques et morales, le peuple arménien s'éloignait de son église, abandonnant ses consécrations et traditions séculaires. Le gouvernement turc voulait les supprimer par l'épée. Les missionnaires protestants et catholiques, indifférents à la souffrance, à l'affliction et à la douleur arméniennes, distribuaient gratuitement les Ecritures Saintes, prêchant le réconfort de l'Evangile et la promesse du paradis à des villageois dont 80% ne savaient ni lire ni écrire.

Le Consul de Russie, Oumansky, fit le tour des villages arméniens et recueillit les récits des carnages commis par les Turcs et les Kurdes. D'après nos informations, le Consul de Grande-Bretagne avait également voulut entendre les récits de ces crimes, mais les nôtres avaient refusé, en disant: "Vous les Anglais vous nous avez toujours trompés et maintenant nous n'avons plus aucune confiance en vous".

Ces tristes événements et ces actes de désespoir ne pouvaient plus nous laisser indifférents et nous laisser de marbre. Il fallait se mettre au travail, il fallait accomplir quelque chose de fort, pour secouer les corps supérieurs turcs et les ambassades étrangères, et apporter à ce peuple paisible, souffrant et opprimé, un renouveau et un remède. Il fallait montrer à ce peuple turc et kurde que le bras arménien sait porter un fusil, le coeur arménien sait combattre et défendre ses droits. Tout cela devait être manifesté au grand jour par "une poignée de fédaïs" qui avaient fait voeu de se sacrifier pour l'amour de la liberté de leur pays, justifiant ainsi la grande foi et l'espoir que le peuple avait concentré sur eux.

Le gouvernement turc avait disposé en 28 endroits (sauf à Mouch) des soldats réguliers turcs, selon la situation et la taille des villages. Dans chaque village arménien étaient désignés, de la part du gouvernement, des gardiens kurdes pour veiller et défendre le village contre toute attaque nocturne des Kurdes. Le paysan avait l'obligation de payer totalement ce gardien de nuit kurde, sans se plaindre et sans protester. Ce gardiennage kurde était, de la part du gouvernement, un jeu habile. Le but était de se renseigner, par l'entremise de ces gardiens, sur notre entrée dans les villages. Ces gardiens devaient nous espionner et nous suivre. S'il arrivait que nous entrions de nuit dans un village, les chiens se mettraient à aboyer, et les gardiens devaient immédiatement informer Mouch ou les centres de gardiennage turcs pour qu'ils nous poursuivent et nous cernent. Parmi ces gardiens kurdes beaucoup renoncèrent à leur fonction par crainte de nos menaces.

De tous côtés, nos entrées étaient bloquées. Toutes nos entreprises étaient confrontées à des empêchements et des difficultés. La population se consumait sous le poids des souffrances, et nous ne pouvions pas entreprendre nos actions. J'ai donc décidé de faire une démonstration pour attirer sur nous l'attention du gouvernement turc. Il fallait se battre et arrêter le sang par le sang. Il fallait semer l'effroi jusque dans les repaires des Turcs et des Kurdes, pour donner un peu de tranquillité au peuple arménien.

Pour secouer les peuples turcs et kurdes avec les corps supérieurs, il ne fallait pas attirer leur attention sur un combat dans un champ ouvert ou sur un plateau quelconque, il fallait se concentrer sur un endroit remarquable et y inviter les soldats turcs et kurdes.

Le monastère de Sourp Garabed, de par sa situation, ne convenait pas. Le monastère de Sourp Hovann était également défavorable. Le monastère Sourp Arakélots, appelé également monastère Tarkmantchats, était approprié. Après avoir pris cette décision mentalement, j'ai exposé tous mes points de vue. Malgré toutes les difficultés prévues, les gars acceptèrent avec joie ma proposition de se battre pour la prospérité du peuple arménien et d'affronter la mort ou la victoire.

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La statue du Général Antanig Ozanian (1866-1927) est toujours au cimetière Père-Lachaise à Paris, là où se trouvait sa première sépulture. On peut en voir quelques photos sur le site : http://lachaise.gargl.net/photos/photos-thematiques-antranik.htm

Sa dépouille mortelle a été transférée en Arménie le 17 février 2000.

(Traduction Louise Kiffer)