Observations sur l’actualité de la cause arménienne
Aline Dedeyan  octobre 2007

1. Comment combattre l’impunité de la Turquie qui perdure et s’intensifie malgré un cumul impressionnant d’évidences (preuves) actuellement disponibles et librement consultables, ne laissant plus aucun doute sur le génocide des Arméniens au siècle dernier.

2. A l’abri de toute condamnation, la République turque, état démocratique membre de l’ONU, signataire de ses traités principaux, demeure un des rares états niant systématiquement ses responsabilités pour des crimes à l’encontre de ses minorités – arméniennes et autres – vivant autrefois dans l’Empire turco ottoman.

3. En revanche, avec la fondation d’une République arménienne indépendante et démocratique (un état nation) dans le giron du CEI, membre de l’ONU et de ses agences spécialisées, également signataire de la quasi-totalité des traités internationaux, l’Arménie jouit des droits et obligations égaux en participant pleinement aux prises des décisions s au sein de la communauté internationale. Ses représentants accrédités, seuls diplomates et porte-parole officiels de la nation, reflètent le nouveau profil arménien en assurent les rapports de la République avec le monde entier.

4. Quant à la Diaspora, n’ayant plus le statut juridique de minorité (historiquement persécutée), ni la jouissance des droits consacrés aux minorités, actuellement elle ne représente ni un « état » (souverain, ayant ses territoires, son gouvernement, etc. ), ni les préoccupations des Arméniens de la Diaspora dans les forums internationaux. Non reconnue comme un corps politique légitime, elle ne peut ni remplacer, ni se substituer au gouvernement arménien.

5. La diaspora ne représente donc qu’elle-même sous forme de « lobby»s – groupes de pression – diverses associations, partis politiques ou autres institutions arméniennes et pan arméniennes à caractère privé et non gouvernemental, à la fois sources d’information et de pouvoir d’influence auprès les politiques, les élus, les historiens, les intellectuels ainsi que les médias d’un grand nombre de pays.

6. Riche et puissante, ayant contribué massivement au développement et à la reconstruction de l’Arménie, cette Diaspora – le double de la population d’Arménie – se voit néanmoins mise à l’écart des filières politico diplomatiques du gouvernement arménien, ne se reconnaissant ni dans une identité politique « composite », ni comme l’acteur principal de la « cause arménienne » sur l’échiquier international.

7. Or, désormais la problématique du génocide des Arméniens, se situerait au niveau des instances internationales. Nombreux mécanismes : cours, tribunaux, traités, résolutions, organes (conférences, comités, commissions et autres) ayant été crées à cet effet. Mandatés et habilités à prévenir, à juger et à sanctionner des crimes contre l’humanité, dont le génocide – extermination préméditée d’un groupe ou, d’une ethnie, basée sur sa différence d’origine, religieuse et culturelle – seule leur légitimité, réaffirmée universellement, viendrait à bout des litiges entre auteurs et victimes d’un crime. A commencer par l’obligation de reconnaissance par les parties concernées.

8. Or, la Convention du génocide de 1948, La Convention de 1968 de l’Assemblée générale de l’ONU confirmant l’imprescriptibilité du crime de génocide, ainsi que d’autres textes juridiques préconisant des mesures préventives et punitives, exigent non seulement une reconnaissance (accountability) par ses auteurs mais l’obligation de faire réparation sous ses diverses formes : réconciliation, restitution, compensation, indemnisation, etc.

9. Outre les reconnaissances officielles/légales – même si restées symboliques – de plus de 48 Etats, de l’ONU (entre autres les rapporteurs de la Convention du génocide citant le génocide des Arméniens), du Parlement européen, du Conseil de l’Europe et d’autres instances européennes, publiques et gouvernementales, les interventions à haut niveau des délégations arméniennes à l’Assemblée générale de l’ONU, au Conseil des droits de l’homme (jusqu’en 2006 la Commission des DH) à la Sous Commission sur les minorités (prévention et protection, rattachée au Conseil), à l’IOM et aux autres forums, ainsi que les documents – comptes-rendus, rapports, lettres, notes, résolutions, décisions conservés dans les archives et les sites de l’ONU – constituent des pièces de convictions incontournables.

10. A cela s’ajoute des « évidences » de droit privé, notamment les cadastres des propriétés jadis arméniennes dont on trouve les traces auprès des assureurs, le procès Tehlirian (portant en justice une personne et non pas un état), des témoignages directes, y compris ceux des rescapés encore en vie, archives et documentation internationales relayant les thèses d’historiens et d’experts de réputation mondiale, vidéos, DVD, émissions médiatiques et, en prime, une abondante littérature en toute langue venant confirmer la vérité. Désormais la cause arménienne se répand dans ses moindres détails historiques et personnels.

11. Il serait temps de la dégager de son contexte « mythique » en la recadrant dans un autre, de nature plutôt juridique. Ainsi, au lieu de se focaliser sur la recherche de «nouvelles preuves », d’envisager de porter celles existantes devant des juges impartiaux et neutres chargés de les examiner dans le cadre du droit international en vue de porter un jugement définitif sur le génocide des Arméniens. Tout au moins parvenir à faire cesser le négationnisme qui s’obstine à les vider de leur sens.

12. Récemment une résolution condamnant le déni l’Holocauste vient d’être adoptée par l’AG. Une démarche visant l’ouverture d’un procès contre la Turquie dans le cadre du droit international ne devrait pas être exclue. En prévoyant, aussi bien qu’en statuant, sur les conséquences des actes de génocide. Une reconnaissance qui déboucherait sur des dispositifs juridiques en matière de compensation, de restitution, etc., même si l’application effective de ces dispositifs feraient l’objet de nouvelles négociations.

13. Actuellement le gouvernement arménien n’est pas en mesure de porter la Turquie en justice. Faut-il encore qu’elle y consente ! Le pays est trop fragile et son développement saccadé. Entre autres, les blocus prolongés azéri et turc, liés au déni du génocide et de l’indépendance de jure de Nagorno Karabakh et de son rattachement éventuel à l’Arménie, pèse sur son image et l’avenir des deux pays nouvellement constitués.

14. Dans ces circonstances que peut faire la Diaspora ? Est-il possible d’imaginer le scénario moyennant lequel où un ou plusieurs autres Etats autres que l’Arménie, se constitueraient en partie civile pour tenter un procès contre la Turquie ?

15. L’Union européenne, le Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme, l’OSCE, le Conseil des droits de l’homme, voire un groupe de juristes indépendants, soutenus par des organisations nationales, publiques, gouvernementales et non gouvernementales, arméniennes ou autres, peuvent-ils recourir à un tel procès ?

16. Est-il également possible de concevoir un rapprochement avec les formations politiques en Arménie, encourageant l’émergence d’une opposition aux normes démocratiques beaucoup plus avancés – état de droit, justice, égalité, transparence, liberté d’opinion et de la presse, suppression de la corruption et de l’écart entre riches et pauvres – qui se prêterait davantage à un partenariat politique avec la Diaspora ?

Aline Dedeyan, Genève.
adedeyan@yahoo.com

Références : Prof. Alfred de Zayas, auteur et juriste international ; M. Francis Deng, Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU sur la prévention du génocide : partenariat avec la société civile ; Jean-Baptiste Racine, Professeur de droit privée à l’Université de Nice, auteur du « Génocide des Arméniens ».